Photo : L’activiste et organisateur du mouvement en faveur des aliments M. Roberts : « Les partenariats représentent l’avenir de la politique alimentaire ».
Wayne Roberts se décrit comme le « M. Magoo » de la politique alimentaire municipale; souvent hésitant et souvent sauvé par la chance (le fruit d’années de pratique).
M. Roberts jouit d’une expérience de plusieurs dizaines d’années à titre d’organisateur communautaire, et de 2000 à 2010, il a agi en qualité de directeur du Conseil de la politique alimentaire de Toronto. Au cours de cette décennie, l’alimentation locale est devenue un mouvement à part entière.
Son tout dernier ouvrage, Food for City Building: A Field Guide for Planners, Actionists & Entrepreneurs, est un mélange de souvenirs du temps qu’il a passé au conseil et de guide pratique traitant de la création de systèmes alimentaires communautaires dans les villes. Il livre ici ses réflexions sur ce qui suivra pour le mouvement, sur la façon de construire une « grande tente » de partisans de l’alimentation scolaire et la raison pour laquelle le capital social est la ressource la plus importante qui soit.
L’alimentation est politique, mais également très personnelle. Pensez-vous qu’il y a un large soutien public au Canada en faveur d’un programme fédéral de nutrition à l’école? Est-ce les parents appuieraient un tel programme?
L’avenir des bons programmes gouvernementaux dépendra de partenariats actifs et éclairés entre les citoyens et le gouvernement.
Les programmes d’alimentation scolaire, par exemple, auront plusieurs payeurs et plusieurs partenaires, et engageront les élèves, les parents, les enseignants, les conseils scolaires, les villes, les planificateurs de l’éducation et des programmes d’études provinciaux ou nationaux, les représentants agricoles et les planificateurs des services de santé fédéraux. Les partenariats représentent l’avenir de la politique alimentaire, ce qui explique pourquoi l’alimentation est si essentielle aux politiques générales de l’avenir. Nous serons probablement les pionniers du changement pour d’autres secteurs.
Déterminer si les parents, les non-parents et les grands-parents voteront en faveur des programmes d’alimentation scolaire est un sujet épineux, car le succès des politiques alimentaires dépend des compétences des organisateurs à former une « majorité de minorités ».
Seule une minorité de votants sont parents de jeunes enfants, par exemple. Mais, nous devons former une coalition qui inclut les agriculteurs locaux, les éducateurs, les passionnés de la prévention des maladies, les environnementalistes, les personnes à la recherche d’un emploi dans le service alimentaire et ainsi de suite, toutes les personnes qui en bénéficieront. La politique alimentaire doit porter sur une politique qui peut créer de telles coalitions.
Vous écrivez que nous devons parler de notre façon de formuler nos questions sur l’alimentation. Pouvez-vous expliquer?
Nous devons faire un meilleur travail de formulation. Par exemple, nous sommes durement touchés par le cadre de « l’État-providence » que l’industrie de la malbouffe a concocté comme moyen d’élaborer une législation conçue plus précisément pour promouvoir la protection des enfants ou le droit de savoir d’un consommateur.
Nous devons trouver des cadres qui feront écho. Nous devons également faire preuve d’une grande ouverture d’esprit pour aborder les problèmes, de façon à pouvoir élaborer des coalitions. Par exemple, je travaille à redéfinir les « programmes de repas scolaires » comme des « programmes d’alimentation scolaire ». L’alimentation inclut apprendre à jardiner et à cuisiner à l’école, elle s’inscrit dans le programme d’études des cours d’histoire ou d’études de l’environnement, les connaissances en matière de santé, etc.
Par-dessus tout, nous devons aborder les questions sur l’alimentation comme des questions urbaines, comme un élément central aux villes performantes. Je consacre une grande part de ma retraite à promouvoir cette redéfinition des questions relatives à l’alimentation.
Vous parlez du besoin d’une « couverture commune » pour englober tous les intérêts dans un meilleur système alimentaire. Qu’entendez-vous par là?
Vandana Shiva indique que le mouvement en faveur des aliments est un mouvement préconisant le « et » et non le « mais ».
Les personnes qui soutiennent les aliments biologiques, biodynamiques, la permaculture, l’agroécologie, les aliments durables et locaux, par exemple, doivent à la fois informer les gens des détails concernant leur philosophie ET faire campagne conjointement pour appuyer toutes les options qui offrent une solution de rechange au système dominant d’aujourd’hui.
Il est difficile de trouver une lutte sociale qui ait réussi sans difficulté dans l’histoire — pensez aux campagnes antérieures en faveur du droit de vote des femmes, de l’abolition de l’esclavage, de la reconnaissance syndicale, du régime d’assurance-maladie, des droits des homosexuels — c’est qu’aucune n’était fondée sur les bases d’une campagne « inclusive », d’une « mobilisation commune ». À mesure que le mouvement en faveur des aliments évoluera et luttera pour gagner de l’influence, il s’orientera vers l’organisation d’un front commun.
L’aspect de la création d’emplois du mouvement en faveur des aliments locaux est un sujet dont vous parlez quelque peu. Quel en est le potentiel?
J’inscris le potentiel des aliments pour créer de bons emplois, gratifiants et satisfaisants au cœur de mes efforts visant à redéfinir les questions relatives à l’alimentation. En misant sur les emplois dans le secteur de l’alimentation, j’essaie de créer un mouvement en faveur des aliments comme un mouvement de droits économiques et un mouvement qui s’occupe du coeur des systèmes politiques, sociaux et économiques.
« Nous sommes des gens ordinaires et nous voulons une bonne vie ». C’est ce qu’apportent les emplois dans le secteur de l’alimentation; de bons emplois, pas des emplois bidon qui ne mènent nulle part. Nous sommes aussi des gens ordinaires qui veulent s’engager à créer un système alimentaire dans lequel les aliments permettent de créer des emplois qui promeuvent la santé, pas des emplois qui rendent malade. »
L’alimentation est devenue un secteur de financement important pour les œuvres de charité ces dernières années. Quelle est l’incidence de ces dollars?
Les fondations ont accompli un travail formidable pour amorcer le financement du mouvement en faveur des aliments et elles devraient s’en tenir à ce domaine : l’innovation. Mais le mouvement en faveur des aliments doit commencer à parler des centaines de milliards de nouveaux fonds provenant d’argent dépensé à tort, et non des dizaines de milliers de dollars en provenance des fondations.
Le plus important au sujet du financement de projets relatifs à l’alimentation est que tout le secteur est totalement sous-financé de façon irresponsable. Les différents gouvernements consacrent près de la moitié de leurs budgets aux soins médicaux, et près de la moitié de ces dépenses pourraient être mieux utilisées pour prévenir les maladies par des mesures alimentaires.
Vous vous décrivez comme le « M. Magoo » de la politique alimentaire; souvent hésitant, mais souvent sauvé par la chance. À quoi attribuez-vous cette chance?
Œuvrer auprès du Conseil de la politique alimentaire constitue un travail qui prédispose aux accidents.
Votre travail consiste à être le Johnny Appleseed, semant des idées sur les aliments à tout vent, en espérant que le directeur des déchets verra comment les aliments s’inscrivent dans celles-ci, le directeur du développement économique verra comment les aliments font des merveilles, etc.
Vous passez beaucoup de temps à essayer de persuader les gens qui ont plus de pouvoir, plus de ressources que vous et qui en savent plus sur leur secteur que vous. Donc inévitablement, vous faites beaucoup d’erreurs qui peuvent vous causer quelques problèmes. J’ai fait de mon mieux pour ne pas personnaliser les problèmes, ne pas proférer d’injures, ne pas gêner qui que ce soit en public, ce genre de chose.
J’ai également entretenu des relations, et les relations sont essentielles à une bonne défense des droits, avec des personnes qui assurent mes arrières et qui corrigent mes erreurs juste à temps pour éviter une catastrophe. J’ai eu une grande chance ainsi, mais j’aime à croire parfois que c’est le genre de chance que le golfeur a lorsqu’il dit « plus je m’exerce, plus j’ai de la chance ».
Vous ne pouvez pas accomplir ce que j’ai accompli à moins que votre travail vise davantage à tisser des relations qu’à défendre vos idées. Vous devez entretenir des relations mutuellement bénéfiques et protectrices avec des personnes possédant de bonnes habiletés sociales. Le capital social, voilà la clé!