Lorsque la chef et porte-parole visionnaire Alice Waters a déclaré devant plus de mille délégués présents à une récente conférence De la ferme à la cafétéria que « la question des aliments locaux est profondément liée à celle de l’égalité », elle a touché une corde sensible qui a résonné tout au long de la conférence et de la semaine.
En effet, les aliments locaux contribuent à la santé et à l’environnement. Ils contribuent aussi à l’essor des économies locales et à la sauvegarde des fermes pour l’avenir. Ils contribuent également à la création de nouveaux systèmes de culture et de consommation. Malheureusement, les collectivités marginalisées sont trop souvent tenues à l’écart des discussions, comme beaucoup de délégués l’ont souligné lors de la conférence.
Aux États-Unis, des études montrent que les quartiers hispaniques et noirs disposent de moins d’épiceries et de plus de dépanneurs et de restaurants à service rapide que les quartiers plus riches et plus blancs. Dans ce qui est convenu d’appeler les « déserts alimentaires », les gens qui ont déjà moins d’argent à dépenser pour les aliments ont aussi moins de choix santé à leur disposition. C’est ce qui explique en partie les taux de diabète et d’obésité plus élevés chez ces groupes que dans le reste de la population.
La question de l’inégalité au Canada
Le contexte canadien est légèrement différent de celui des États-Unis. Nous n’avons pas les mêmes antécédents de ségrégation raciale et jouissons (encore) d’un meilleur filet social que dans ce pays. Cependant, nos communautés de couleur sont touchées de façon disproportionnée par la faim et l’insécurité alimentaire.
Selon Statistique Canada, la prévalence de l’insécurité alimentaire des ménages, n’ayant pas un accès fiable à une alimentation saine, sûre et suffisante, est plus élevée chez les immigrants récents que chez les non-immigrants. Chez les Premières nations, le niveau d’insécurité alimentaire est beaucoup plus élevé. En 2008, environ un cinquième des ménages autochtones (20,9 pour cent) était en situation d’insécurité alimentaire comparativement à 7,5 pour cent dans la population générale. Une évaluation plus récente de l’insécurité alimentaire des ménages par province indique que le Nunavut possède le taux le plus élevé au pays en cette matière, touchant 36,2 pour cent des ménages.
Qui plus est, les enquêtes de Statistique Canada montrent que chez les ménages en situation d’insécurité alimentaire, les adultes compromettent leur propre apport alimentaire afin de minimiser les privations chez leurs enfants.
Nous voulons assurément donner le meilleur à nos enfants. Aussi, comme Mme Waters l’a indiqué, nos écoles publiques sont l’endroit idéal pour promouvoir l’égalité chez tous les enfants et pour amorcer une transformation radicale de notre système alimentaire.
Se plonger les mains dans le sol?
Pour ce faire, il faut adapter les aliments locaux aux écoles et aux communautés que l’on dessert, affirme Utcha Sawyers, directrice-animatrice en alimentation communautaire et justice alimentaire chez FoodShare Toronto. Cet organisme sans but lucratif vise l’accès généralisé à des « aliments sains produits de façon durable ».
La tendance observée, dit-elle, c’est que les organismes alimentaires venant s’installer dans nos communautés ne se préoccupent pas tellement de l’origine ethnique et culturelle de la population. Elle y voit un obstacle fondamental à leur succès. « Dans tous nos programmes, dit-elle, FoodShare adopte une approche suivant laquelle la communauté est notre partenaire et non notre cliente. »
Devant un système scolaire immense et diversifié comme celui qui existe à Toronto, il est nécessaire de discuter ouvertement des questions d’ethnicité, d’inégalité et d’oppression reliées au système alimentaire, dit Katie German, coordonnatrice du programme School Grown de FoodShare. Ce programme consiste en des jardins agricoles urbains réalisés par les élèves dans la cour d’école.
Lorsqu’elle a reçu son lot d’inscriptions au programme d’été, Katie a remarqué que celles-ci provenaient très majoritairement de blancs. Elle a donc recherché activement plus d’élèves de couleur qui souhaitaient y participer. Son équipe s’est finalement composée de 12 élèves qui représentaient mieux, selon elle, la diversité ethnique de l’école.
Selon Katie, ce projet permet aussi de reconnaître que, pour les élèves de parents immigrants qui ont fui des régions défavorisées ou ceux dont les ancêtres ont connu le travail forcé, l’expression « enfoncez-vous les mains dans le sol! » n’a pas la même signification positive que pour elle. « Nous discutons de cette question, dit-elle, et les élèves s’y intéressent. Je pense généralement qu’il faudrait davantage discuter de ce sujet ».
L’alimentation peut servir de pont
Dans les écoles rurales et isolées, il est nécessaire de trouver d’autres façons de faire participer les élèves à un projet alimentaire mieux adaptées à la culture locale. Daniel Schulbeck enseigne les mathématiques et les sciences à l’école secondaire George M. Dawson de Haida Gwaii où 80 pour cent des élèves se réclament du patrimoine de la Nation haïda.
« En tant qu’enseignant blanc, j’avais besoin de me rapprocher de mes élèves, affirme George. L’alimentation a servi de pont ».
George et Derek Seifert, un enseignant en sciences sociales, ont démarré un programme alimentaire il y a cinq ans qui comprend un jardin, la pêche de palourdes ainsi que des expéditions de chasse et de pêche. Ils ont récemment publié un livre, Foods Work, Doing what comes naturally at Haida Gwaii, qui raconte leur expérience.
« Les élèves, surtout ceux du secondaire, s’interrogent sur leur identité, dit George. Nous discutons avec eux du besoin d’adapter l’école à la culture locale. Cela permet de valider leur unicité culturelle ».
Photo de Laura Berman, GreenFuse Photographie